mercredi 28 avril 2010

Le Royaume de l'Insolence, p. 51.

Tous aussi nombreux que les Pashtouns, les Tadjiks, ethnie autochtone de la plus grande part du pays, étaient encore majoritaires dans l’ouest, le Nord-est et à Kaboul, bien que politiquement subjugués. Leur langue et leur civilisation imprégnaient toujours la culture commune de l’Afghanistan. Les Tadjiks sont en réalité des Iraniens d’Asie centrale. Ils se distinguent de leurs cousins d’Iran proprement dit par leur appartenance a la branche sunnite ou orthodoxe de l’Islam, et leur accent persan demeure archaïque. Cette langue persane, indo-européenne mais fortement arabisée, fut l’idiome culturel de l’Asie musulmane du 11e au 19e siècle, de Delhi à Istanbul, de Sarmacande à Madras. Sa situation par rapport à l’arabe dans l’islam d’Orient fut à peu près analogue à celle du français vis-à-vis du latin dans les cours européennes de l’Ancien régime : le persan devint par excellence la langue des belles lettres et de la diplomatie, l’arabe liturgique fut réservé aux philosophes et théologiens. Tout en conservant la réalité du pouvoir, les Pashtouns de Kaboul considéraient comme des béotiens les Afghans de la campagne incapables de s’exprimer en persan.


Michael Barry

dimanche 25 avril 2010

Le Royaume de l'Insolence, p. 40

Pour les Afghans, l’invasion soviétique constitue le plus grave défi de leur histoire , infiniment plus lourd de conséquence que l’expédition anglaise de 1842, les troubles civils de 1929 ou la famine de 1972. L’agression étrangère stimule leurs plus exaltantes qualités, leur amour de l’indépendance et leur abnégation devant la mort ; elle exaspère aussi leurs pires défauts, un orgueil égoïste exacerbé et une tragique incapacité de s’unir. L’Afghanistan survivra-t-il au choc en tant que nation ? Aux Afghans seuls de répondre. Une certitude : le poids de l’occupant a fait voler en éclats les fragiles structures de l’Etat fondé en 1747 et lentement modernisé a partir de 1919. Le pays en tant que tel s’émiette en factions, chefferies, vallées rivales. L’élite occidentalisée est morte en camp de concentration ou a fui à l’étranger. Demeurent sur le terrain les réalités sociales présentes lors de la naissance même de l’Afghanistan, il y a deux siècles : les solidarités ethniques ou tribales ; les hiérarchies villageoises ; l’islam.


Michael Barry, 2002.